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Pierre Léauté dans les Monts du lyonnais

Après Je n’aime pas les grands, un récit sur la montée des nationalismes et des fascismes, Pierre Léauté signe son roman le plus intime, à la fois hommage à une grande figure de la littérature française, mais aussi exploration des récits sociaux dans les territoires oubliés de la République.

Vous allez publier en janvier 2022 Retour à Malataverne chez Mu. Vous reprenez pour ce roman les personnages, créés par Bernard Clavel, et placez votre récit seize années après. Quel effet cela fait-il de mettre ses pas dans ceux d’un prix Goncourt ?

La question semble intimidante, pour autant je n’ai pas réfléchi de la sorte. Je ne suis pas Bernard Clavel, je possède mon propre style et je ne me suis presque rien interdit. J’ai lu et relu le livre original, Malataverne, pour mettre en place ce retour, je me suis immergé dans son univers, ses paysages… Jusqu’à dessiner une carte sommaire pour figurer les lieux décrits. Et puis, je m’en suis détaché pour m’approprier les personnages et leur rendre justice en étoffant l’intrigue initiale. 
Le choix de la suite par d’autres que les créateurs originels est une habitude dans le cinéma ou à la télévision… mais quasiment pas dans la littérature. Pourquoi avoir entrepris ce projet littéraire ?

En tout cas, assez peu dans la littérature française, ce que je déplore. Ma démarche initiale a été, je l’avoue, égoïste : je tenais à savoir quel était le destin de Robert Paillot, une fois arrêté pour avoir tué malencontreusement l’un de ses amis embarqués dans une affaire sordide de cambriolage. Dans les années 80, combien de professeurs de français ont fait plancher leurs élèves sur une suite éventuelle ! Mais plus qu’une suite, je voulais surtout créer une nouvelle histoire pour un lectorat qui n’a pas forcément lu Malataverne. J’ai écrit sur un temps assez court, et me suis même déplacé avec ma femme dans le pays des monts du Lyonnais. Du tourisme d’écriture, en somme !


Comment s’est passée votre rencontre avec Josette Pratte qui a partagé la vie et la table de travail de Bernard Clavel durant plus de trente ans ? Quels ont été les arguments, selon vous, qui lui ont fait accepter la publication de cette suite ?

Josette Pratte a été d’une bienveillance exquise envers moi qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Nous avons échangé par téléphone et par mail, et sans parler à sa place, nous nous sommes rejoints sur la vision de Bernard Clavel quant à son œuvre et les valeurs véhiculées. C’est un honneur insigne que d’avoir obtenu son accord pour cette reprise des personnages originaux de Malataverne.


Seize années se sont écoulées entre la fin du roman de Bernard Clavel et le début de Retour à Malataverne. Pourquoi avoir choisi ce moment précis ?

La vraisemblance tout d’abord, puisque la longueur de la peine de prison subie par le jeune Robert Paillot correspond à la France de 1960 et à l’apogée des blousons noirs violemment réprimés par le système judiciaire. La place de la jeunesse était peu enviable, cela explique en partie ce verdict très lourd et ces seize années de réclusion pour un mineur. 

1976, c’est le début de la France des « Vingt piteuses » et d’une crise économique qui commence.

L’été 1976, c’est aussi un moment charnière dans notre société, le climax d’un épisode de sécheresse sans commune mesure alors. 

La libération de Robert coïncide avec ces bouleversements, creuse ce décalage intime entre sa jeunesse manquée et les retrouvailles avec son pays natal.


Vous faites le choix de ne pas revenir sur les sujets traités par Malataverne et décidez d’en évoquer deux autres : la rédemption et le droit à l’oubli. En quoi pensez-vous que ces thématiques sont contemporaines ?

Retour à Malataverne illustre la tentation de croire que la justice et la prison n’ont pour unique fonction que de peiner le condamné. Mais le prisonnier est appelé à sortir un jour. Une fois sa peine purgée, est-il en règle avec la société des hommes qui l’a mise à l’écart ? Quelle est la place du pardon ? À l’heure de la cancel culture, j’ai voulu apporter une réflexion sur le droit à l’oubli, sur l’idée d’une seconde chance. La logique victimaire réclame de ne pas oublier que nous sommes également, toutes proportions gardées, coupables. Le vice n’est jamais si éloigné que cela de la vertu. En faisant du héros le légataire de ces ruines où jadis il a commis accidentellement un crime, je pose un acte politique.

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