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Lavie Tidhar nous parle de Central Station

À l’occasion de la sortie en France de Central Station, Lavie Tidhar revient sur l’écriture de ce roman qui fait du bien à l’âme de la science-fiction.
Marqué par des récits comme City de Clifford D Simak et Les Seigneurs de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith, Lavie Tidhar est l’un de ces rares auteurs qui savent aussi bien jouer avec la forme et le genre, que mélanger les styles, et créer quelque chose de complètement différent, de merveilleux

Votre première publication a été un recueil de poésie en 1998 en hébreu. Écrivez-vous encore de la poésie ?

Bien sûr ! À un moment, je me suis mis à écrire de la poésie en anglais – mon premier recueil était de la poésie hébraïque. Peut-être qu’un jour je ferai un recueil en anglais, mais pas de si tôt. Je n’en écris pas beaucoup – une poignée de poèmes par an peut-être, si j’ai de la chance. Et seulement un ou deux de bons. À l’époque, je publiais dans de petits magazines de poésie britanniques, et de temps en temps, je glisse encore un ou deux poèmes dans un roman, mais sinon, je n’écris plus pour être publié. Je publie tellement de fiction, que ça fait du bien d’avoir un petit coin rien que pour moi !

Vos premiers écrits influencent-ils vos dernières sorties ?

Je me considère toujours comme un poète avant tout, je suppose – peut-être comme un poète raté ! Je mets donc toujours cela en avant lorsque j’écris, et j’ai également créé, initialement pour plaisanter, le poète fictif « Lior Tirosh » pour être une sorte de remplaçant lorsque je voulais citer certains poèmes dans un livre. Il a cependant pris son envol, et il existe en quelque sorte en marge de l’univers de Central Station et, en tant que personnage à part entière, dans Aucune terre n’est promise, bien qu’il ne soit pas vraiment comme moi dans ce livre. Je me suis inspiré dans une certaine mesure de mon ami Shimon Adaf, qui est un poète fortement apprécié. Mais j’ai l’impression que c’était il y a longtemps ! Une partie de moi souhaite encore pouvoir écrire comme je le faisais à l’époque, mais malheureusement on n’est jeune qu’une fois !

Comment s’est faite la transition vers la fiction pour vous ? Comment avez-vous commencé à écrire des fictions et pourquoi ?

J’ai eu deux décisions à prendre dès le début. La première était que j’avais l’impression d’avoir besoin de faire une pause avec la poésie. Que je n’avais plus rien à dire à l’époque. La question était donc : est-ce que je me tourne vers la fiction comme une sorte de second choix ? Et ce qui est bien avec la fiction, c’est qu’on ne peut pas aspirer à la perfection dans un roman. C’est possible dans un poème, mais vous ne pourrez probablement pas atteindre la perfection, et même les grands poètes n’ont réussi qu’un ou deux poèmes parfaits au cours de leur vie. Il y a donc moins de pression avec la fiction, sachant qu’elle ne peut jamais être parfaite.Le deuxième choix que j’ai dû faire au début était de savoir si j’écris en hébreu ou en anglais ? Et étant jeune, ambitieux et stupide, j’ai décidé d’écrire en anglais, qui est ma deuxième langue, avec la logique que je préfère rivaliser avec beaucoup de gens dans un grand bassin plutôt qu’avec quelques-uns dans un petit bassin. Je ne m’attendais pas du tout à ce que cela fonctionne ! À l’époque aussi, j’avais un ami qui était nouvelliste, et il m’a montré comment écrire des histoires, les soumettre à des magazines et obtenir des refus. Des refus ! Cela semblait tellement glamour. L’idée que vous pouvez écrire quelque chose et que quelqu’un le lira réellement ! J’ai donc commencé à faire ça un jour et je n’ai jamais arrêté. Et bien sûr, la première fois que vous vendez une histoire, c’est une telle montée d’adrénaline, et vous cherchez à la reproduire. Mais les enjeux augmentent à chaque fois. Un meilleur salaire, un meilleur magazine, puis vous voulez un prix, puis vous voulez ce contrat télé… Cela ne finit jamais. J’ai de la chance d’avoir certaines de ces choses, mais aussi de n’écrire que pour moi même et parce que je pense que ce que j’écris a besoin d’être écrit. La publication et tout ce qui va avec n’est donc qu’un bonus. Ce que j’apprécie, c’est l’écriture elle-même, et cela n’a jamais changé. Si cela évolue, il sera temps de faire autre chose !

La science-fiction est le reflet du présent ainsi qu’une vision de l’avenir. Central Station est un roman personnel, mais aussi universel, porteur d’espoir. Que vouliez-vous dire ? Partager ?

Je vivais en Israël en 2010-2011, et c’est le véritable endroit qui m’a inspiré. Le quartier de la gare routière centrale de Tel Aviv, à la fois l’énorme et bizarre édifice labyrinthique de la gare elle-même – qui possède son propre abri antiatomique – et des colonies de chauves-souris ! – et la zone qui l’entoure, très pauvre et habitée par des réfugiés africains et des migrants économiques venus d’Asie. J’ai pensé, je veux écrire sur cet endroit. Et je voulais l’imaginer loin dans le futur et retracer la vie des descendants des personnes qui y vivent aujourd’hui. C’était ça mon inspiration.L’autre chose que je voulais faire était de m’amuser avec tous les « jouets » brillants de la science-fiction classique. Vous savez, les vaisseaux spatiaux, les robots, le génie génétique et l’IA – mais mon but était de fixer tout cela en arrière-plan, puis de l’ignorer en quelque sorte ! Et écrire simplement de petites histoires sur les petites gens de ce futur. Je ne pensais tout simplement pas que quiconque le publierait un jour ! Je l’ai donc écrit en plusieurs parties, sachant que j’aurais pu le vendre sous forme de nouvelles aux magazines, mais je pensais qu’en tant que livre, il était voué à l’échec. Et j’étais très heureux qu’on m’ait prouvé le contraire !

Central Station représente-il quelque chose de particulier à vos yeux ? Dans votre carrière ?

Bien sûr, bien sûr… Chaque livre est spécial, je l’espère, mais celui-ci a vraiment été une telle surprise. Je ne m’attendais pas à ce qu’il sorte. En fait, à un moment donné, je pensais l’auto-éditer ! C’est donc le seul livre dont je n’attendais absolument rien. Et puis, à l’époque, j’avais terminé deux ouvrages que j’avais avec Hachette, et cette relation semblait aller nulle part, et je me suis dit, d’accord, il va falloir que je trouve un vrai travail ou quelque chose comme ça. Ce que je fais pratiquement chaque année. Et puis Central Station est sorti et… a eu sa propre vie. Il n’a cessé d’être publié, partout dans le monde, et de remporter des prix, etc. C’était très surprenant. Et c’est aussi le début de cette très bonne relation avec Tachyon aux États-Unis, qui m’a permis d’écrire des livres qui me passionnaient beaucoup et qui n’auraient jamais eu leur place chez l’un des grands éditeurs. Cela a donc été très enrichissant et je garde un sentiment très spécial pour ce roman. Et il sort encore ! J’ai pu le lancer en Chine juste avant la pandémie, puis il a remporté un prix là-bas alors que j’étais confiné et que je ne pouvais pas y aller. Et maintenant, il paraît en France !

Central Station sort en France prochainement, cela signifie-t-il quelque-chose pour vous ?

Oui, je suis ravi ! Je suis aux anges. J’étais tellement heureux quand Aucune terre n’est promise est sorti au Label Mu. J’ai toujours admiré la façon dont la France a soutenu certains écrivains – comme la façon dont elle a accueilli très tôt Philip K. Dick, ou des auteurs comme Chester Himes dans la Série noire – donc j’ai toujours espéré y trouver aussi une place. J’espère juste que les lecteurs l’apprécieront !

 





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